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Gustave DORÉ Strasbourg, 1832 - Paris, 1883 Paysage des Alpes Huile sur toile Signée 'Gve Doré' en bas à gauche A landscape of the Alps, oil on canvas, signed, by G. Doré 130 x 195 cm (51,18 x 76,77 in.) Provenance : Acquis auprès d'une collectionneuse anglaise au Portugal en 2002 par l'actuel propriétaire ; Collection particulière, Paris Commentaire : Artiste polyvalent par excellence, maniant avec autant de bonheur le crayon, l'aquarelle ou l'huile, Gustave Doré est assurément une figure majeure de l'art de la seconde moitié du XIXe siècle. Mais plus que ça encore, son immense notoriété en fait certainement l'artiste le plus connu de son temps. Malgré ses talents reconnus et appréciés d'illustrateur-graveur, la peinture reste sa première passion. Comme il le confessait en 1873, Gustave Doré se voulait peintre : " J'illustre aujourd'hui pour payer mes couleurs et mes pinceaux. Mon cœur a toujours été à la peinture. J'ai le sentiment d'être né peintre ". Il disait encore : " Pour le moment, je suis mon propre rival. Je dois effacer et tuer l'illustrateur afin que l'on ne parle de moi que comme peintre ". Il est alors aisé, au regard de cette profonde et sincère aspiration de notre artiste, d'imaginer quelle devait être sa déception, son amertume même, devant les critiques presque unanimement négatives par lesquelles ses envois au Salon étaient chaque année salués. Théophile Gautier, Olivier Merson, Emile Zola même qui lui conseillait fatalement de " jeter le pinceau et de reprendre la plume ", tous les critiques ne pouvaient s'affranchir de l'image acceptée de Doré : il est un génial illustrateur évidemment, un merveilleux aquarelliste indiscutablement, mais un peintre, certainement pas. Cette opinion s'est perpétuée longtemps, même après la mort de l'artiste. Rares sont les ouvrages génériques sur la peinture du XIXe siècle qui évoquent son nom. Et pourtant… Et pourtant, comment ne pas tomber en admiration devant la toile que nous avons le grand bonheur de présenter au feu des enchères ; cette composition si ambitieuse, si éloquente, qui nous rappelle l'immensité de la nature et surtout la petitesse de nos vies face à cette dernière. Comment ne pas percevoir par cette toile, la relation presque charnelle de l'artiste avec ces paysages, avec cette nature qu'il place au-dessus de tout et qu'il s'attache à offrir en majesté. Mais surtout, comment ne pas convenir que Gustave Doré était bien un peintre magnifique, n'en déplaise à Zola. Les dix dernières années de sa vie, Gustave Doré s'est consacré aux scène bibliques et aux paysages. Il fut particulièrement frappé par ceux qu'il observa lors de son séjour en Ecosse en 1873, dont il tira ce qui constituent certainement ses plus grands chefs-d'œuvre en peinture. Outre l'Ecosse, il fut profondément marqué par les Vosges, où il passa une partie de sa jeunesse. Et surtout les Alpes, qui nous concernent ici, et où il se réfugia à la fin de sa vie après le décès de sa mère en mars 1881 et d'où il réalisa ses dernières œuvres, empreintes d'un romantisme évocateur dont lui seul avait le secret. La nature et l'étude des paysages devaient alors habiter intensément le peintre, qui voyait en eux la source de son art : " La personne qui sera chargée de reconstituer ma biographie peut d'ores et déjà noter que ce sont ces paysages qui suscitèrent en moi les premières impressions vivantes et durables, et qui déterminèrent donc mes goûts en matière d'art ". Alors que pendant toute sa carrière, le paysage avait le plus souvent été au service de l'anecdote contée par des figures, à mesure que les années passent, Gustave Doré tend à réduire la présence humaine de ses compositions, jusqu'à l'évacuer totalement. Le paysage est autonome. Il doit suffire à transmettre l'émotion, à suggérer le sublime. Notre toile témoigne de la passion de notre artiste pour l'alpinisme, auquel il s'adonnait passionnément avec son frère Ernest. Ensemble, Gustave et Ernest, que les guides s'amusaient à appeler " les frères chamois ", prenaient tous les risques afin de découvrir cette montagne, notre artiste en profitant pour croquer sur le motif ce qui composerait par la suite ses nombreux " souvenirs " apposés sur la toile ou le papier. La composition qu'il nous offre, majestueuse, dans un cadrage à plusieurs plans, où le ciel se prolonge dans les montagnes et finit sa course dans l'eau, ne semble devoir être interprétée dans une vision topographique mais bien plutôt comme un paysage lyrique, radicalement romantique, nous invitant à la contemplation. Par cette œuvre, Doré donne vie à ce qu'il écrivait des hauts de Montreux en Suisse : " Ici nous passons toutes nos heures en face du plus magique et grandiose spectacle qu'il soit donné de contempler […]. C'est le tableau de l'infini ".

paris, France