DELACROIX Eugène (1798-1863). L.A.S. «E. Delacroix», [forêt de Boixe] 8 octobre …
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DELACROIX Eugène (1798-1863).

L.A.S. «E. Delacroix», [forêt de Boixe] 8 octobre 1819, à Achille Piron, «employé des Postes, Hôtel des Postes» à Paris; 3 pages in-4, adresse (adresse biffée avec corrosions de l'encre, réparations aux parties corrodées, sur les bords et au petit manque à l'emplacement du cachet). Longue lettre à son ami sur son séjour en Charente chez sa soeur Hen­riette de Verninac, la chasse, et son amour des livres et de la lecture. Il plaint son ami: «quels détestables tours: ces turcs n'ont donc point de conscience... bah ! oui... de la conscience à un turc ! [...] j'ai vivement regretté que mon absence m'empêchât de me joindre à toi pour leur faire comprendre à grands coups de trique que nous ne sommes plus au temps des Scapins et des Pantalons [...] Dépêches toi donc de sortir de ce mauvais pas: jettes leur vite au nez un grand normand bien construit, aux épaules quarrées et au jarret tendu, dont le nez enfin, puisqu'ils le veulent ainsi, soit propre à déchirer la cartouche. Je ne vois que trop ici de ces grands diables de braconniers, de paysans de toutes couleurs, avec leurs figures en dessous et leurs airs calins. Pas une figure ouverte qui vous envisage: ils ont tous la mine de criminels qui redoutent les coups de baton»... Il espère que Piron pourra vite se remettre à étudier l'italien: «L'étude console de tout. Les livres sont de vrais amis, leur conversation silen­cieuse est exempte de querelles et de divisions. Ils vous font travailler sur vous-même: et, chose rare dans les discussions avec les amis de chair et d'os, ils vous insinuent tout doucement leur avis, et vous font goûter la raison, sans que vous vous regimbiez contre son évidence et sans que vous ayez l'air d'être vaincu à vos propres yeux. Si le livre ne vaut rien, bien qu'avec des dehors spécieux, un bon esprit ne s'y trompe pas. S'il est bon, c'est un inestimable trésor, c'est une félicité de tous les moments. Combien les livres ne nous font-ils pas oublier de chagrins, par le spectacle des hommes vertueux livrés au malheur. Combien ne nous élèvent-ils pas, en nous montrant leur constance et leur grand caractère. C'est une chose qui m'étonne, de voir si peu de gens qui lisent dans ce sens. Ils ne cherchent dans la lecture qu'à repaître le vide de leur esprit. Les lignes leur passent devant les yeux comme des aliments dans un gosier, pourvu qu'ils passent c'est assez. Moi, je trouve dans les livres des passages, que je voudrais saisir avec autre chose qu'avec les yeux: je sens si bien ce qu'ils me disent, je vois si bien ceux qu'ils me peignent, que je m'indigne à la fin contre cette page muette d'un vil papier qui m'a remué si fortement et qui me reste seule entre les mains et sous les sens, au lieu des êtres qu'elle m'a fait passer en revue et que j'aimais, que je connaissais. Aussi je m'afflige en voyant arriver la fin d'un livre qui m'intéresse: je dis un éternel adieu à des amis». Il va bientôt rentrer à Paris et retrouver ses amis, notamment PIERRET qui s'occupe de son père malade... «Voici déjà les premières gelées qui ont jauni la feuille de la vigne. Le matin quand je sors pour chasser, un brouillard épais comme un nuage s'élève sur les bois. On est tout saisi d'un froid agréable qui vous réveille et vous ranime aux premiers rayons du soleil. Les chiens craignent d'entrer dans les buissons couverts de rosée et ils en sortent tout humides et le poil hérissé. Ces pauvres animaux ne s'en acquittent pas moins fidèlement de leur devoir. Quand ils ont saisi la trace, on les voit se précipiter avec une ardeur inconcevable: ils courent, ils volent, ils franchissent, ils se marchent sur le nez qu'ils ont toujours collé à la boue en flairant précipitamment l'odeur du lièvre. Ce spectacle m'amuse plus que la chasse elle-même. Elle n'est pourtant point si ennuyeuse qu'on pourrait croire quand on a de bons chiens. Souvent ils nous font voir deux ou trois lièvres dans moins d'une demie heure. Il ne faut qu'avoir du sang-froid et ne pas se presser. Aussi bien la saison où nous nous trouvons n'est pas favorable [pour cette] sorte de chasse. Elle est vraiment délicieuse au printemps et une partie de l'été, et puis lorsque les feuilles seront tout à fait tombées. Mais malheureusement je n'en jouirai pas car je compte partir au plus tard le 25 ou le 28. [...] Je vois déjà Paris dans un prochain éloignement: je ne vois pas sans une sorte d'effroi l'hyver que j'y vas passer tout seul; car je serai décidément garçon, et ne reviendrai qu'avec mon neveu»... Lettres intimes (XVI, p. 86).

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